Ici vous trouverez des extraits de textes, notes sorties des carnets, obsessions récurrentes, ou mots jamais dits...
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Main Gauche - mai 24, Sève
Ecrire ce qui ne peut être dit sans craindre tonnerre
Ecrire ce qui a oublié ses mots
Ecrire ce que font les corneilles à la parole
quand elles grattent, râclent, tournoient, cornoient, noiraillent au-dessus de nos entrailles
Poitrine en avant ouverte fragile poitrine
De qui ce jabot noir irrisé ?
De qui cette cacophonie silencieuse ?
Foutoir-Plumoir noir sautillant,
qu’en attendre ?
Il arrive que les cris d’alarme des oiseaux parviennent aux oreilles humaines en une verte inquiétude. Il arrive qu’alors, les humains pensent confusément : Aurions-nous oublié quelque chose ? Aurions-nous oublié quelqu’un ?
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Quelqu’un, oui, a été oublié quelque part.
Ses os : secs, oubliés.
Alors les cris des oiseaux mettent les os aux aguets.
Les os, tendus, guettent, attendent.
Ils attendent la tendresse.
L’infinie tendresse.
La tendresse qui détend tout, même les os les plus secs, même les os oubliés.
Il arrive que cette tendresse arrive,
même de loin, même bien plus tard.
Et cette tendresse-là, mêlée aux cris des oiseaux met du moelleux dans ces os.
Elle fait gonfler les mots des vivants comme les plumes d’un jabot
Et la parole enfle alors, puis elle s’envole d’elle-même.
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Ne me regarde pas – avril 24, Sève
Non, ne me regarde pas
Ne me regarde pas quand je porte ma peau d’écaille
Quand je caille à l’ombre des grands arbres
Ne me regarde pas
Quand je cascade contre mes côtes
Quand je cours après le souffle, buffle aux naseaux
Ne me regarde pas quand aucun cil ne tient à l’orée de mes yeux
Quand le soleil n’éclaire plus mes mots, ne me regarde pas
Ecoute seulement
Et tremble
Tremble de savoir le loup et la fouine et la loutre et l’orvet en dedans.
Tremble de savoir la gale et le cygne en dedans, et la mygale des temps anciens, le vers qui conspire, raz de marée, flot qui déguste, et la palourde assise, et le lychen acide, les champignons cruciformes, et aussi le miel à vraie trompe. Ecoute
Ecoute ces êtres, ces terres, ces mers et ces cieux roulant, coulant, soufflant, raclant, compostant, à l’intérieur de toi, grain de poussière.
Ne me regarde pas
Ecoute sans discontinuer
Ecoute aussi quand tu parles, quand tu manges, quand tu dors, quand tu rêves.Ecoute aussi quand tu sors les poubelles, ou que tu ramasses un gobelet de plastique sur le bitume fendu. Ecoute
Ne me regarde pas.
J’apparais, je disparais.
Je suis la brume-chevreuil.
J’aboye, je te préviens, je siffle, je les préviens, je sonde, je trille, je renacle, je rhombe.
Ecoute
Il n’est pas un jour où je ne suis pas avec toi
Evenement de boue– avril 24, Sève
Ce renard c’est mon face à face
mon face à face avec la mort
avec sa mort
avec sa mort qui ne vient pas
Ce renard c’est mon face à face avec une agonie
Une lente, longue, purulente agonie
L’expérience boueuse d’une agonie
Une agonie couverte de pluie
Ce renard, c’est la mort étranglée dans la gorge
La mort qui ne passe pas, prise à son propre piège
Ce renard, c’est la vie et la mort toutes emmêlées dans la gorge
Une pelote d’agonie qui tente de retenir le souffle
Une pelote d’agonie qui s’y agrippe de toutes ses griffes
Ce renard c’est un râle
Un appel coincé dans la gorge
Un cri impossible à cracher
Ce renard c’est un râle que j’entends
Parce que je passe juste à côté
Empêtrée que je suis alors dans mes pensées de boue
Ce renard c’est mon face à face
Mon face à face avec la mort
avec ma mort
Avec ma mort qui ne vient pas
Ma mort de ce que plus tard je dirai avoir été
Ma mort de ce qui déjà est passé mais que j’ignore encore
Ce renard, c’est le bruit terrible du pieu qui fracasse
Tas d’os qui cassent
Libèrant le souffle de sa carcasse
Ce renard, c’est les ossements effondrés
Tant de temps
Tant de temps
Tant de pluie
Tant de poils, collés
Tant de pus
Temps de partir
Pars renard, pars
Pars, quitte tes poils roux-gris collés
Pars renard pars
Ne me fait pas frapper encore
Pars
Ce renard, c’est mon passage alors
Rendu libre et clair
Si clair renard que des larmes ont coulé
Si clair renard que ma mort à moi m’a été rendue
Cycliquement, revenir à cet événement de boue
Et toujours, toi, renard, lié à mes tripes désormais
Cacophonie (extrait) - été 23, Sève
(...)
21h55
Le vent frémit
Les feuilles se lèvent
La fraîcheur chante
21h59
Les grenouilles sonnent
Les cloches croassent
Le porc mort colle
Son odeur gît
Je souffle pour le taureau
Le chat chante sur le tarmac chaud
Et j’accélère sous le baquet
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22h
Au village, des enfants broutent
Les parents soufflent
La musique crie
Les gens aboient
Les mobilettes sifflent
Les vaches chantent
Les oiseaux pétaradent
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22h01
Un cheval de trait fuse et se répercute contre les murs de l’école
Les rires s’abreuvent au baquet de plastique bleu
Les stères de bois se propagent partout où ils peuvent
Et sur le bas-côté, au milieu de la caillasse,
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​Un coquelicot tient le coup
(...)
Fougère - juillet 23
D’après moi la fougère comme la poule existent depuis toujours
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Les écrevisses aussi - juillet 23
Les écrevisses aussi marchent à reculons
Elles s’enfoncent dans la faille d’une roche pour mieux regarder devant
Suis-je le danger qui vient ?
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Le temps des pierres - juillet 23
LA PIERRE, C’EST DU TEMPS EN MOUVEMENT
(la mémoire aussi)
Fougère -août 23
Un mois après, ton odeur me ramène toujours en forêt
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​Le temps des pierres - juillet 23
---- DESSINER pour -------------------- regarder mieux------
------ enfoncer le regard dans la pierre -------
-- récupérer mes strates ----
------me souvenir de l’enfance -------------
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Triton - août 23
« Comme le triton peut faire repousser un de ses membres là où il n’y a que le vide, nous avons commencé à remplir les creux qui minent nos vies» - H-
Survivances (extrait) - mai 24, Sève
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(...) Et ces cris dans le fossé, ces cris dans le tuyau de béton. Tu te souviens ?
Ces cris qui tournent en rond, pris dans la force centrifuge du combat à mort. Ces cris qui s’agrippent aux ventres. Devant ce mouvement qui ne s’arrête plus. Et le cri amplifié par le tuyau ? tu te souviens ? La maison, à deux pas pourtant. Mais la peur, la peur, cette peur-là… la peur ancienne, irrationnelle, mais la peur quand même, la peur de se faire bouffer. Tu te souviens ? (...)
Dans ce pré -mai 23, Sève
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Franchement… il y a ce pré au printemps.
Il y a du soleil franc dans ce pré
Il y a des herbes hautes
Et un peu de vent dans ce pré
Il y a une paix dans ce pré !
Il y a une envie de se prélasser dans ce pré
Il y a – quand on le traverse ce pré- un tas de fleurs et de graminées.
Il y a des taches de couleurs
Il y a des tas de questions dans ce pré,
des tas de noms oubliés, jamais sus dans ce pré
Il y a un I phone allumé dans ce pré.
Et dans cet I phone, il y a des réponses en forme de poèmes dans ce pré
Il y a la cardamine des prés : petite, blanche, au cœur vert tendre, (4 pétales en cœur si on veut bien)
Il y a le petit boucage ombellifère à fleurs blanches, si courant, pourtant peu connu, oublié, jamais su dans ce pré
Il y a le bugle de genève, petit, ferme et d’un mauve déterminé
Il y a le trèfle jaune, trèfle, jaune, dans ce pré
Il y a la silène fleur de coucou, plutôt libellule et d’un rose exaltant, aux pétales rapides et autonomes
La silène fleur de coucou qu’on dirait prête à s’envoler
Pourquoi te dit-on fleur de coucou, silène ?
Il y a des questions en suspens dans ce pré
Il y a le ceraiste commun, l’herbe à robert et des graminées dans ce pré....
Dans ce pré …….. il y a ………..
…………………………….. UN CHEVREUIL …………………… à 5 mètres de moi
……………. Un chevreuil et moi dans ce pré ………………
entre le chevreuil et moi 5 mètres de silence
du silence qui s’observe
30 secondes de silence, de souffle qui circule au dessus des graminées
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Parce qu’il ne fuit pas tout de suite, ce chevreuil, j’hésite : suis-je une humaine à ces yeux ? ….. Ma pensée perce le silence. Le chevreuil saute et reprend son souffle avec lui. Il me laisse le mien que je ne reconnais plus tout-à-fait : souffle couvert d’un duvet vert clair. Il y a de la cardamine et du chevreuil dans ce souffle.